Pensée plastique-technique pensante.

Un volume dans un lacis de repères spatiaux n’est pas un immeuble dans la perspective d’une rue sur fond d’horizon, pas plus qu’un aplat n’est un mur, l’irruption d’un matériau collé une référence à un revêtement, un jeu de transparences l’évocation d’un premier plan ouvert à la profondeur. Pas seulement.
Les dessins de Wandrille Duruflé ne représentent pas mais expérimentent.
L’usage de techniques mixtes, le jeu avec les codes (reconnaissables mais fugitifs, non figés, questionnés), les compositions aussi rigoureuses que déstabilisantes (systèmes autonomes, pas pour autant clos), positionnent ce travail à la croisée entre la proposition expérimentale de pratiques d’espaces et le répertoire de formes, structures et systèmes.
Un langage en mouvement, manière de penser, matière à réflexion, support à une approche aussi ténue que manifeste des pratiques d’espaces.
Le cinématographe russe des années 20, l’œuvre fragmentaire, proliférante de Fernando Pessoa, sa géo-poétique faite d’échos et de résonances, ou l’écriture de Joyce, ont ouvert la voie à une appréhension miroitante de l’espace.
Qualification non narrative, regard plutôt, mise à l’épreuve surtout.
Ici, la pratique du dessin comme pensée plastique ouvre le champ au déploiement de la délicate question de l’échelle.

Espace = échelle+ rythme

La notion d’échelle n’a rien à voir ou si peu avec le format ou la dimension, c’est une question de rapports, éventuellement de proportions. Inutile d’être grand pour être monumental.
Questions naturellement développées par l’architecture et l’urbanisme, c’est ici plutôt de géographie qu’il pourrait être question. Au sens où Fernand Braudel souligna l’importance des questions spatiales, la combinaison de diverses dimensions, les zonages non coïncidents mais stratifiés, à la fois temporels et spatiaux, rythmiques donc.
Des masses, plans, traits et strates, émergent des volumes et des rapports. De l’espace saturé de la feuille, le carambolage de diverses facettes. De la confrontation d’une série de dessins, des reliefs psycho-géographiques qui laissent interdit.
Quand ce travail se décline en volumes, sa présence devient pesanteur, le rapport à l’espace plus physique. Les pièces, sculpturales, souvent pensées pour un lieu particulier, occupent l’espace en poursuivant leur dialogue avec le dessin. La matière travaillée ne produit pas de motif, mais bien un passage, d’une dimension à l’autre. Leur support - ni présentoir ni socle - élève la pièce à la hauteur où elle doit être, affirmant son rapport au sol, murs, plafond, à la structure qui l’accueille, à l’architecture, au quartier, aux visiteurs.

Installations- in situ(ation)

Dans l’espace d’exposition, dessins et volumes proposent une expérimentation proche de celle de la dérive situationniste, opposée à la banale promenade comme au voyage fantasmé ou policé. La dérive, consciente mais non normalisée, permet la saisie, voire la dé-re-qualification d’espaces complexes, par la pratique.
Dans le travail de W. Duruflé, ce rapport à la situ-ation est soutenu par une approche vernaculaire de l’environnement comme de la technicité. Ni pittoresque, ni savant, ni démonstratif, le vernaculaire est une technique pensée pour une situation, en adéquation avec le milieu associé, ses usages, et les matériaux disponibles. Locale certes, cette démarche de construction par étapes est surtout participative et réactive : le matériau n’est jamais revendiqué comme récupéré ou recyclé, mais utilisé parce qu’il est là ; la technique est empirique et appropriée ; le rapport au milieu comme au paysage est fonctionnel, adapté car inséré dans un ensemble. Moins une technique donc, qu’une pratique et une intelligence de l’espace.

Anouk SCHOELLKOPF.